Ferrid Kheder : « briser la loi du silence »

Judo : les actualités du judo en France et dans le monde / Interview / vendredi 1 novembre 2013 / source : alljudo


Depuis quelques semaines l’ancien double vainqueur du tournoi de Paris Ferrid Kheder agite les réseaux sociaux avec une action baptisée ‘quenelle olympique’ qui a pour but avoué de s’attaquer au système fédéral. Interview.

Même si personne ne le reconnaît vraiment, et si beaucoup se réfugient derrière des « j'en ai entendu parler » ou des « j'ai regardé ça vite-fait », les vidéos postées sur les réseaux sociaux depuis quelques semaines par Ferrid Kheder défrayent la chronique et agitent le judo français.
Pour en savoir plus sur son action, et pour savoir ce qui se cachait derrière les accusations et les provocations, nous l'avons contacté et il a accepté de réaliser une interview sur Skype. En voici la substance :

Bonjour Ferrid, peux-tu nous rappeler rapidement quand et pour quelles raisons tu as été radié pour 15 ans de la Fédération Française de Judo ?
Après les JO de 2000, en accord avec la direction technique, j'ai quitté l'équipe de France car je ne supportais plus un système qui ne respectait pas les individus et où les athlètes étaient méprisés. Pour pouvoir vivre ma passion et échapper aux pressions, j'ai donc quitté mon pays et j'ai rejoint l'équipe tunisienne. J'ai rapidement été performant et j'étais régulièrement devant les Français de l'époque. A partir de là, une nouvelle règle est sortie interdisant aux étrangers de s'entraîner en France dans les structures fédérales. Malgré cela j'ai continué à être performant et cela a irrité le staff de l'époque. Lors d'un stage international à Aix-en-Provence auquel je participais avec la Tunisie, et alors que je ne souhaitais pas m'y rendre, j'ai eu une altercation avec Patrick Rosso que j'ai insulté après avoir été poussé à bout. Il n'y a pas eu de suite immédiate car je n'étais pas licencié en France. Mais à la rentrée suivante je devais enseigner dans le club de Maubeuge et c'est à ce moment-là qu'une convocation m'a été adressée. Comme je m'entraînais en Tunisie je ne l'ai pas reçue et j'ai été jugé sans être présent. A mon retour une lettre recommandée m'attendait me signifiant que j'étais radié pour une durée de 15 ans. Je croyais rêver. J'ai même cru que c'était 15 jours, mais non c'était bien 15 ans. Je constate que depuis des choses plus graves ont été commises : des actes avérés de pédophilies par des professeurs, des vols commis par des athlètes de l'équipe de France, des bagarres, des gens qui ont détourné de l'argent dans des ligues ou dans des clubs, mais personne n'a été sanctionné aussi durement que moi. Je me demande encore pourquoi j'ai eu droit à une sanction aussi sévère, et pourquoi personne ne s'est insurgé.

Suite à cela tu as complètement quitté la France ?
Au départ non. Mais n'étant plus licencié je ne pouvais plus travailler dans des clubs ou des structures affiliées à la Fédération, donc c'était très difficile. Après une année et demie je suis parti en Nouvelle-Calédonie où j'ai commencé à travailler pour un club. Malheureusement comme c'est un territoire français j'ai été rattrapé et on m'a fait cesser mon activité. Suite à cela je suis parti en Australie pour faire du MMA et j'ai poursuivi ma carrière aux USA.

Moralement tu étais dans quel état d'esprit ?
Déjà quand j'ai dû changer de nationalité cela a été très difficile. Il ne faut pas croire que l'on passe de Français à Tunisien comme ça. Je suis Tunisien par le sang, mais je suis Français. Je ne connaissais pas le pays, je ne parlais pas la langue, et en Tunisie je n'étais pas toujours le bienvenu. L'adaptation a été compliquée. Ensuite en 2004 j'étais en position de pouvoir prétendre à une médaille olympique, j'avais battu tout le monde : le champion du monde, le champion olympique... Mais la fédération tunisienne a reçu des pressions et seul Anis Lounifi a été envoyé aux Jeux. J'ai donc mis un terme à ma carrière, et durant la période de 2004 à décembre 2005, j'ai sombré, je suis passé par le pire. La drogue, l'alcool... je me suis perdu. Je n'ai pas le caractère à vouloir me suicider mais j'étais dans un processus d'autodestruction.

A ce moment-là tu avais tout perdu ?
Oui, je suis parti en Nouvelle-Calédonie je n'avais plus rien. J'avais 2000€ en poche, mon kimono, mes claquettes, mon short et mon tuba. Voilà ce qui me restait à la fin de ma carrière. Pour m'en sortir j'ai été livreur de pizzas, ouvreur d'huîtres... j'ai tout fait.

Comment es-tu sorti de cette spirale ?
C'est grâce au MMA. Dans la cage j'ai pris des coups, mais cela fait beaucoup moins mal que de se retrouver seul à la fin de sa carrière, sans travail, sans soutien, alors que l'on a donné sa vie au judo. Quand vous allez voir un employeur et qu'il apprend que vous avez été en équipe de France puis que vous avez été radié pour 15 ans de votre fédération, c'est difficile de trouver du boulot. Avec le MMA j'ai trouvé une nouvelle motivation, je me suis fixé des objectifs, j'ai pu gagner ma vie et me reconstruire.

Depuis quelques semaines tu es revenu via les réseaux sociaux dans une démarche qui ressemble à un règlement de comptes. Quel est l'intérêt de revenir si longtemps après ?
Ce n'est pas un règlement de compte. Pour moi la page est tournée, je suis heureux, je vis confortablement aux USA et je n'ai pas besoin de reconnaissance. Ce que je veux faire c'est servir tous les jeunes qui sont dans le judo. Ca me mine de voir qu'en 2013, les hommes parfois ont changé mais les habitudes sont les mêmes. Il y a des athlètes qui me parlent, des entraîneurs de clubs, et je constate que le système continue de bousiller des carrières, de laisser des jeunes sur le carreau, de fonctionner par copinage. Maintenant si j'ai attendu aussi longtemps, c'est parce que je me suis préparé, je me suis entouré, j'ai établi un plan d'attaque. Depuis 2006 je travaille sur ce projet, cela fait 7 ans que j'observe, que je collecte des informations. Mon intention est de briser la loi du silence, de mettre fin à l'omerta.

Tu as baptisé ton action la quenelle olympique. Peux-tu nous expliquer une petit peu ce qu'est la quenelle ?
Il s'agit d'un geste inventé par Dieudonné. Un bras et sa main sont tendus vers le bas, l'autre bras est plié de manière à placer sa main à plat sur sa clavicule opposée. Pour l'humoriste, il s'agit d'un geste provocant 'contre ceux d'en haut', c'est-à-dire les hommes politiques au pouvoir, les grands groupes financiers et les médias. Bref, 'glisser une quenelle', c'est se rebeller contre le système. Moi ma quenelle olympique c'est de me rebeller contre la Fédération Française de judo.

N'as-tu pas peur de créer une confusion du fait des tendances anti-sémites de Dieudonnée ?
La quenelle est devenu un phénomène populaire, et des personnes de toutes tendances politiques, de toutes origines font la quenelle. Parmi les judokas, Teddy Riner a fait le geste de la quenelle en compagnie de Dieudonnée et on ne peut pas le taxer d'antisémitisme.

Dans tes vidéos tu dénonces beaucoup de choses en utilisant la provocation et les insultes. Ne penses-tu pas que cela renforce l'étiquette de ‘mec ingérable' que l'on a pu te donner ?
C'est un choix stratégique. J'ai construit mon attaque comme ça. Mon objectif c'est de faire exploser un système qui est gangréné à tous les niveaux, où l'on récompense les gens avec des grades, avec des voyages... je ne suis pas du tout en train de régler des comptes personnels en m'attaquant à une ou deux personnes. Si j'ai choisi d'être provocateur et insultant c'est pour leur montrer que je n'ai pas peur d'eux. Malgré ce qu'ils peuvent dire ou faire, je continue et je démontre qu'on peut les attaquer. Ensuite dans des vidéos à venir je dénoncerais également des choses en restant sobre et sans vulgarité.

Est-ce que cette manière de faire les choses avec excès et provocation, te viens de la culture américaine ?
Oui tout à fait. J'aime la vie aux USA, j'aime ce système. Ici tout le monde fait du show, les sportifs, les politiques. Ca plaît ou ça ne plaît pas mais cela suscite de l'intérêt. Cela m'a inspiré dans ma façon de faire et si les gens prennent le temps d'écouter ce que je dis et de regarder ce que je fais, ils verront que je joue un personnage, qu'il y a une part de comédie. Il faut que les gens qui regardent les vidéos prennent du plaisir, que ça les fasse rigoler, que ça les choque, que ça les sensibilise, que ça créé un intérêt.

N'as-tu pas le sentiment d'aller trop loin quand tu attaques sur la vie privée des gens ?
Ah non pas du tout. Je m'attaque à des gens sans scrupules. Lorsque j'ai été sanctionné, qui s'est inquiété de l'impact que cela allait avoir sur ma vie privée ? J'ai dû gérer des choses difficiles sur le plan personnel, mais personne ne s'en est soucié. Dans ma stratégie d'attaque c'est aussi un moyen de fragiliser des gens qui se positionnent en défenseur du code moral du judo. Je montre qu'en réalité leur morale personnelle à eux est très éloignée de celle du judo, mais ils n'hésitent pas à brandir le code moral comme un bouclier quand cela les arrange.

Tu attaques le système fédéral, mais certaines de tes attaques les plus virulentes sont adressées à des personnes qui n'en font plus parti. N'est-ce pas contradictoire ?
Les gens sortent du système puis ils y reviennent, ou ils essayent de le faire. Pour moi ils appartiennent toujours au milieu du judo. Stéphane Traineau, par exemple, a essayé de se faire élire et Patrick Rosso a des responsabilités dans le karaté, ils sont toujours là ou pas très loin. A l'image de René Rambier qui avait été écarté après les JO de 2000, ils peuvent revenir. Très prochainement, je m'attaquerai aussi aux personnes qui sont en place à l'heure actuelle, car je dispose de nombreux témoignages.

Ne penses-tu pas qu'entre la période où tu étais en équipe de France et maintenant les méthodes ont changées, et que finalement tu dénonces des choses qui n'existent plus ?
Oui les choses ont changées. Il y a plus de respect entre les entraîneurs et les athlètes. Mais dès que tu t'écartes un peu de leur méthode, dès que tu t'interroges sur les plans d'entraînement que l'on te propose, ils t'excluent. Si tu fais preuve d'un peu trop de caractère tu es mal vu, alors qu'un champion, un combattant doit avoir du caractère. D'autre part les critères de sélection sont toujours à géométrie variable, il n'y a pas de règle précise pour établir ce que l'on doit gagner pour être sélectionné sur les tournois ou sur les championnats. On ne sait pas non plus comment sont attribués les postes dans l'encadrement de l'équipe de France. J'aimerai que l'on m'explique ce qu'il faut faire ou avoir fait, pour devenir entraîneur de l'équipe de France, pour intégrer le staff national ou la Direction Technique ? A part bien sûr être le copain de untel ou untel...

Certains athlètes, actuels ou anciens, se reconnaissent à travers ta démarche. Attends-tu qu'ils te soutiennent et penses-tu que cela peut leur nuire ?
Je suis en contact avec beaucoup d'athlètes, et je leur demande de ne pas se prononcer ouvertement, de rester concentrer sur leur carrière sportive. Je ne veux pas que mon action nuise à leur parcours, ce n'est pas le but. Si les choses bougent, quand le moment viendra, peut-être qu'ils auront aussi leur mot à dire. Mais pour l'instant ce n'est pas du soutien des athlètes dont j'ai besoin. C'est aux pratiquants de base, aux clubs, aux professeurs, aux hauts-gradés de se mobiliser s'ils pensent que le judo à besoin d'être assaini.

A titre personnel crains-tu des représailles ?
Non... enfin je ne sais pas... On va me mettre en prison ? Pour quelle raison ? Peut-être qu'un jour c'est moi qui vais aller devant les tribunaux et qui vais demander à être dédommagé, car en me supprimant ma licence on m'a empêché d'exercer ma profession et c'est contraire au droit français. Et je ne parle pas du préjudice moral...

Après la guerre que tu es en train de mener -c'est le terme que tu utilises-, pourra-t-il encore y avoir une paix ?
La guerre on la fait pour la gagner, après quand elle est terminée, elle est terminée. Mon objectif c'est de la gagner. Après même si je n'oublie pas, à un moment donné pour avancer il faut pardonner. Mais pardonner ça ne veut pas dire laisser passer, ou ne pas sanctionner ceux qui ont commis des fautes.

Les comportements et les dysfonctionnements que tu dénonces dans le judo, existent-ils dans d'autres fédérations ?
Moi je parle du judo, parce que c'est ce que je connais, je ne peux pas trop me prononcer sur les autres disciplines. Maintenant il y a des gens qui me contactent et qui me relatent des faits similaires dans d'autres sports comme la lutte ou le taekwondo. Il y a des gens comme Marlene Harnois, médaillée olympique en 2012 en taekwondo, qui a été brisée par sa fédération. Elle a tout perdu et a dû rejoindre le Canada. Il y a aussi Audrey Prieto, championne du monde de lutte avec qui je suis en contact, qui a été harcelée et mise à l'écart injustement par sa fédération. J'ai des dossiers effarants qui me parviennent et prochainement je les dévoilerai car les médias, qui souvent sont sous contrôle, n'exposent pas les choses en totalité.

Le mot de la fin ?
Il y a beaucoup de despotisme dans les fédérations des sports amateurs, car le pouvoir et l'argent ont pris l'ascendant sur les valeurs humaines et sur les valeurs sportives. Mais nous sommes au 21e siècle, l'esclavage a été aboli depuis longtemps, et il ne faut pas accepter ces dérives. C'est pour cela que mon équipe et moi allons continuer de nous battre avec ferveur en espérant que cette démarche sensibilisera et poussera d'autres personnes à agir et à se révolter.

 


Le site officiel de Ferrid Kheder
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  • hurricane - le 03/11/2013 à 04:33

    Merci a Alljudo de m'avoir donne la parole,metci a tous pour votre soutien. Votez pour la quenelle olympique et likez la page facebook quenelle olympique FK! Tiutes les infos @ www.hurricanekheder.com N'hesitez surtout pas a mon contacter si vous avez des choses a denoncer. Avec mon " armee" nous allons faire tout notre possible pour faire tomber ce systeme despotique rempli d'incompetents malhonnetes qui ne pensent qu'au pouvoir et l'argent et se fichent bien du sport, des athletes et des valeurs ! Merci a tous- Ferrid. ferrid@hurricanekheder.com whatsapp: +1 671-486-0375 Skype: bonecfusher2013

  • bilute - le 02/11/2013 à 03:51

    Malheureusement depuis plusieurs générations les entraîneurs nationaux sont nommés uniquement sur deux critères, leur palmarès ou leur réseau d'amis au sein de la fédération. La première qualité d'un entraîneur doit être ses compétences acquises dans un cursus de formation, ou il apprend son métier. La deuxième qualité est de nourrir cet acquis avec une expérience de club, où l'entraîneur va aider son club à se développer, à s'améliorer et à obtenir des résultats. Après ces deux critères les résultats sportifs et les médailles obtenus dans la carrière sportive de l'entraîneur peuvent rentrer é compte pour postuler en équipe nationale.

  • bilute - le 02/11/2013 à 03:17

    Cela empêcherait d'avoir des incompétents à la tête de notre élite nationale et éviterait tous les problèmes qui gangrène notre sport depuis trop longtemps : mode de sélection parfois arbitraire, violences avec certains athlètes, impunité..... Pour terminer je vais cite le sport le plus populaire du monde le football, ou même si ce sport est gangrené par des problèmes de frics il est beaucoup mieux structure que le notre. C'est comme si on donnait les clefs de l'équipe de France à la fin de sa carrière de Zizou en 2006 après la finale de coupe du monde. Impossible

  • bilute - le 02/11/2013 à 03:27

    Nous en judo après les jeux de 2000 nous avons donné les clefs de l'équipe de France à David Douillet et Stephane Traîneau, sans aucun requis et uniquement sur leur palmarès. Demandez à l'ensemble des athlètes qui était à l'insep à l'époque, c'était comique ce que nous vivions comme entraînements. Tout le monde savait qu'ils n'étaient pas de taille pour le costume. Mafia is Mafia, et ce serait bien que ça change un peu et que les clubs se mouillent un peu parce que tout le monde pense la même chose et personne ne dit rien un peu de solidarité merci Kheder même si c'est vrai que t'étais un peu un dingue sur le tapis mais tu es un mec sincère continue