'Il faut retrouver le goût de l'excellence'

Judo : les actualités du judo en France et dans le monde / Interview / samedi 5 aout 2006 / source : alljudo.net


Ancien judoka de haut niveau, membre de l’école française de judo jujitsu, Patrick Roux a accepté pour alljudo.net de revenir sur sa carrière, sur les champions qui l’ont marqué et de donner son sentiment sur les difficultés actuelles du judo français.

Bonjour, pouvez nous rappeler les clubs que vous avez fréquenté au cours de votre carrière ?
J’ai commencé à pratiquer le judo en 1972 dans un petit club de 70 licenciés, le JC Perols, près de Montpellier. Mon professeur, Emile Mazodier (7e dan), m’a permis de m’entraîner tous les jours, notamment en m’accompagnant dans les clubs de la région, et je suis resté dans mon club formateur jusqu’à la fin de ma première année junior, en 1979, année où je remporte les championnats de France. Parallèlement à cela j’ai pratiqué l’aiki jutsu, une discipline qui a eu un rôle initiatique dans ma formation, et qui m’a permis de mieux appréhender les éléments fondamentaux que sont la posture, la perception du corps, l’équilibre, des notions qui sont très importantes dans ma conception du judo. En 1980, j’ai rejoint Paris. Je m’entrainais à l’INSEP et sur les recommandations d’Emile Mazodier, qui souhaitait qu’un professeur poursuive ma formation, je me suis licencié au Stade Français où je suis devenu l’élève d’un professeur extraordinaire, M. Murakami, qui était très attaché aux bases du judo. A l’époque, le Stade Français n’était pas un club riche, et la section judo de ce club multisports était récente, mais avec Henri Courtine comme président et Murakami comme professeur j’ai vécu une période faste qui a atteint son apogée en 1987. Cette année là nous sommes devenus vice champions de France par équipes, et, sur le plan individuel je me classe 3e des championnats du monde et je remporte le titre européen.

A l’issue de ma carrière de compétiteur je suis devenu entraîneur et j’ai rejoint le club de Maison-Alfort en 1993. J’ai eu l’occasion d’entraîner un groupe de judokas brillants parmi lesquels on retrouvait Christophe Gagliano, Yacine Douma, Isabelle Magnien, Christophe Massina, Ludovic Delacotte ou encore André Allard. Certains m’ont marqué par leur judo, d’autre par leur personnalité comme Laetitia Moulin qui était capable, avec trois entraînements par semaine, de briguer les podiums nationaux tout en poursuivant des études de haut niveau.

Actuellement je suis licencié dans le club où sont inscrits mes enfants, à Sucy-en-Brie. Je suis ravi, c’est un club très familial qui doit beaucoup à son président Philippe Boucard.

Quels sont les champions qui vous ont marqué au cours de votre carrière ?
En premier je citerai Katsuhiko Kashiwazaki, car je me suis beaucoup inspiré de son exceptionnel travail au sol.  Ensuite, si l’on parle de compétiteur, Thierry Rey m'a beaucoup impressionné. Il avait une attitude mentale incroyable, une capacité à se transcender, à être à 200% le jour de la compétition. En le croisant en équipe de France - j’arrivais, tandis que lui était sur la fin - j’ai compris qu’il me manquait encore quelque chose au niveau du mental. Enfin le plus impressionnant de tous, bien au-delà des deux précédents, c’est Yamashita. J’ai pu le voir combattre du bord du tapis et il se dégageait de ses combats une impression de perfection. Yamashita avait le sens du beau, il voulait gagner sans sacrifier la manière, pour montrer que le judo c’est beau.

Et parmi les champions actuelles ?
Tout d’abord il y a Suzuki. J’aime sa sobriété, il n’est jamais dans le paraître, je pense que c’est celui qui par son attitude se rapproche le plus de Yamashita. Ensuite il y a Nomura. Je l’ai vu pour la première fois à l’INSEP, il devait avoir 16 ans, et malgré son corps frêle il gênait déjà tout ceux qui l’invitaient en randori grâce à sa science du déplacement. L’année suivante il devient vice champion du monde junior alors qu’il était encore très léger et deux ans plus tard il est champion olympique à Atlanta.

On constate depuis quelques années un appauvrissement technique dans le judo de compétition. Certaines règles d’arbitrage pourraient changer pour tenter de faire face à ce problème qu’en pensez-vous ?
Concernant la suppression de la zone rouge, cela me paraît être une bonne mesure, qui va dans le sens souhaité. L’expérience lors du dernier tournoi de Paris m’a semblée concluante.

Certains évoquent également de la supression du koka ?
Vous me l’apprenez. Là, encore ce pourrait être une bonne chose, si cela encourage les athlètes à rechercher la victoire par ippon.

Une autre idée qui circule c’est la création de kimono avec des zones cibles pour les mains, pour inciter les jeunes pratiquants à revenir à des saisies fondamentales ?
Je suis au courant de cette proposition. Je n’y crois pas du tout et je suis contre de ce que l’on peut appeler la «pédagogie-business». C’est une proposition qui a des visées mercantiles, et qui émane des fabricants de kimonos. Moi je pense que dans la formation du judoka, il faut laisser place à l’erreur, à la liberté, il faut laisser la possibilité au jeune judoka de faire ses propres expériences.

Quel est votre sentiment à propos de l’intégration du jiu-jitsu brésilien au sein de la FFJDA ?
Je crois que nous sommes en train de vivre un moment extraordinaire dans notre évolution, car cela va relancer l’enseignement du newaza. La source de notre problème date des années 70, lorsque, petit à petit, nous avons commencé à diminuer le temps imparti au newaza, notamment parce que certains pensaient que cela n’était pas télégénique. Nous avons commis une grave erreur car dans le newaza on retrouve 80% des principes du judo : utilisation du poids du corps, du mouvement, travail des réflexes….Il faut considérer l’arrivée du jiu-jitsu brésilien comme une chance et comme leçon. Une leçon d’efficacité d’abord, et ensuite une leçon sur la façon dont nous devons transmettre le judo. Je considère que le judo est comparable à l’artisanat : il y a une connaissance inscrite dans une lignée, une culture énorme que nous ne devons pas perdre. Certains l’ont compris, comme Frédéric Demontfaucon qui, en compagnie de Jean-Pierre Gibert, axe une grande partie de son travail sur le newaza. Les Japonaises également ont travaillé le newaza à un moment où tout le monde le délaissait. Résultat : on a pu constaté que dans les grands championnats elles remportaient presque un combat sur deux au sol.

Tous les passionnés de judo sont tristes en voyant les performances de l’équipe de France masculine. Selon vous quelles sont les raisons de ce déclin ?
C’est un problème complexe, qui a d’ailleurs été traité dans le dernier numéro du magazine «l’Esprit du Judo», et dont le reportage ouvre plusieurs pistes. Je vais essayer de donner une réponse la plus synthétique et la plus précise possible, même si elle n’engage que moi.

Il y a 20 ans la France était considérée comme le meilleur élève du Japon. Les Japonais venaient souvent en France et nous nous inspirions de leur technique, de leurs méthodes pour progresser. Mais petit à petit, peut-être à cause des succès, nous avons lentement glissé vers une autre attitude et nous avons pensé que nous n’avions plus besoin d’eux. Le résultat de ce changement progressif se fait sentir aujourd’hui. Heureusement tout n’est pas négatif, car la France dispose encore des ressources pour redresser la barre. La question maintenant est de savoir si ces ressources, ces compétences, vont être utilisées en prise directe sur le haut-niveau. Nos experts ne doivent pas uniquement transmettre des connaissances théoriques aux entraîneurs, ils doivent également être présents pour transmettre des sensations aux athlètes.

L’autre point positif c’est que nous possédons les structures (Pôles espoirs, Pôles France, INSEP). Il nous reste à construire les contenus qui vont avec pour mieux organiser la formation de nos judokas. Nous devons également retrouver le goût de l’excellence, de la maîtrise du geste.

Le fait que les titulaires ne soient pas systématiquement remis en cause comme c’est le cas au Japon, n’a-t-il pas également contribué aux mauvaises performances de l’équipe de France ?
Je ne le pense pas, pour la simple raison que nous ne disposons pas du réservoir des Japonais. Eux, ils peuvent se permettre d’envoyer les numéros 2 ou 3 pour remporter le tournoi de Paris. A titre d’exemple, lors d’un stage au Japon, j’ai été amené à visiter un dojo régional au fin fond du pays. Il y avait là un professeur de très haut niveau et ses jeunes élèves possédaient déjà un répertoire technique complet, qu’ils maîtrisaient à droite et à gauche. Nous, en France, nous ne pouvons pas nous appuyer sur une telle masse et sur une telle qualité.

Repères
6e dan de judo
3e des championnats du monde 1987
1e des championnats d’Europe 1987
2e des championnats d’Europe 1988
3e des championnats d’Europe 1984, 1985, 1986
Double champion de France (1985, 1986)
Membre de l’Ecole Française de Judo Jujitsu
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