Annabelle Euranie vide son sac

Judo : les actualités du judo en France et dans le monde / Article / lundi 6 juin 2016 / source : alljudo


A travers un long message publié sur Facebook, Annabelle Euranie a vidé son sac avec beaucoup de dignité et fair-play vis à vis de Priscilla Gneto.

Alors que notre récent sondage fait apparaître que vous auriez été presque 70% à préférer Annabelle Euranie à Priscilla Gneto pour représenter la France à Rio en moins de 52kg, la combattante de Blanc-Mesnil a tenu a donner son point de vue à travers un long post sur Facebook :

"Bonjour,

Avant toute chose, je souhaite par ce message remercier toutes les personnes m'ayant témoigné soutien, encouragements et réconfort au cours de ces trois dernières années. La multitude de messages et de marque d'affection reçus hier, suite à l'annonce de ma non -sélection m' a énormément touchée. Alors, vraiment, et sincèrement un grand merci à tous ceux qui se reconnaitront.

Que dire si ce n'est que je suis extrêmement déçue.. J'y croyais et j'estimais avoir les raisons d'y croire.. Mais au fond de moi, l'espoir était terni par le sentiment que tout était sans doute joué d'avance et ce depuis longtemps.
Priscilla et moi nous sommes livrées à une bataille acharnée, et régulière au cours des deux dernières saisons. Une lutte, intense dont j'estimais être sortie victorieuse. Les sélectionneurs en ont décidé autrement.
Il n'est nullement ici question de remettre en question le mérite de Priscilla, une athlète exceptionnelle, avec qui j'entretiens d' excellentes relations marquée par de l'estime et du respect mutuel . Je l'ai d'ailleurs félicitée hier soir, et mes propos étaient sincères.

Au cours de ma carrière, de mes deux carrières si je puis dire, j'ai toujours accepté mon sort, et n'ai jamais rien réclamé ou contesté car j'estimais que je ne devais mes réussites ou mes échecs qu'à moi même.

Mon sentiment est différent aujourd’hui et pour la première fois, j'ai envie de parler, de faire sortir cette "boule en moi", ce sentiment d'injustice qui m'habite et que je ne peux taire... J'ai en effet le sentiment de ne pas avoir été jugée équitablement..Comme si pour la même course, il y avait deux lignes de départ. Mes parents m'ont toujours inculqué les valeurs de fair play et elles sont inscrites en moi. Mais ils m'ont aussi toujours demandé de faire face et de rester debout face à l'injustice.

Je tiens à nouveau à dire que dans cette histoire, je n'ai aucun ressenti envers ma concurrente qui n'y est pour rien dans la situation que je veux décrire. Elle s'est battue et a tout fait pour réaliser ses objectifs, tout comme moi. 
Je vous demande aussi de prendre le temps de lire ce qui suit. J'avais besoin de vider mon sac, de soulager ma conscience. Alors, par avance merci du temps pris pour lire ce qui suit..

En 2013/2014, alors que j'avais repris depuis un an, nous étions en concurrence pour une sélection mondiale. J'avais remporté le grand chelem de Bakou devant Priscilia et elle m'avait été préférée pour les championnats du monde de Chellyabinsk. On m'avait alors expliqué qu'elle était la leader naturelle de la catégorie et que je n'avais pas réussi encore à bouleverser cette situation. J'ai accepté cette décision sans broncher..

En 2014/ 2015 après avoir remporté un Grand Prix et une médaille de bronze en grand Slam ainsi qu'une médaille au Master de Rabat, on ne m'a pas sélectionnée d'office pour les championnats du Monde. La raison invoquée cette fois est que bien que j'étais officiellement la numéro 1 française je n'étais pas médaillée mondiale..Ce qui soi dit en passant était faux car je l'ai été en 2003 ;-).. J'ai donc du attendre la fin du championnat d'Europe à la fin juin, ou j'ai remporté une médaille d'argent pour obtenir ma qualification au bout d'une saison éprouvante qui m'avait vue enchainer deux podiums sur deux échéances majeures ( Europe et Master). Je suis arrivée à Astana, complètement épuisée et vidée psychologiquement, suite à cette course interminable pour la sélection mondiale et me suis inclinée au deuxième tour contre une future médaillée mondiale ( que j'ai d'ailleurs rebattue lors de notre confrontation suivante.) La championne du monde ce jour là n'était autre que la japonaise Nakamura que j'avais dominée quelques mois plus tôt au Master. A l'issue de ce championnat du monde raté, il a été dit " de toute façon Annabelle, n'a pas le niveau mondial". Je ne peux hélas par respect pour mes sources pas les divulguer mais je vous assure que ce que j'écris est authentique. Et que cela a bien été dit.

En 2015/2016 enfin, j'ai assisté au retour de ma concurrente Priscilla, qui a retrouvé, je le reconnais, son meilleur niveau. Aprés le tournoi de Paris de rentrée, raté pour moi, je me suis remise en question et suis allée remportée le Grand Slam d'Abu dhabi. Un grand Slam ou étaient présentes la plupart des leaders de la catégorie à l'exception de la japonaise. J'aurais du enchainer sur le Grand Slam du Japon, mais pour des raisons de mise en concurrence on nous a envoyé en Corée juste avant. Il s'agissait alors de concurrence. J'ai accepté ce changement et suis ressortie de la tournée asiatique avec une cinquième place en Corée et une médaille de bronze au Japon en étant la seule non japonaise sur le podium. De l'avis général, je finissais l'année civile en étant leader de la catégorie. Je confirmais ce leadership sur le tournoi de Paris de Février ou je terminais troisième, en ayant battu ma concurrente au cours de la compétition. J’étais donc toujours numéro une. Mais Priscilla n'était pas loin, j'en suis pleinement consciente. A l'issue de ce tournoi on m'a conseillé de me reposer et je n'ai donc pas participé au Grand Prix d'Allemagne. A noter qu'on ne nous a jamais donné aucune explication sur notre calendrier et sur la façon dont on serait jugées et départagées.

En, février le DTN nous a réunis à la fédération en présence de tous les cadres et nous a donné le calendrier olympique, ainsi que les modalités de décison . Il a été clairement expliqué que la période de sélection irait jusqu'au 31 mai, après le Master. Et personne ne contredira celà. Pourtant à la suite du championnat d'Europe à Kazan ou je m'incline en demie sur Kemendi aprés un combat trés engagé ( de l'avis même des sélectionneurs) et échoue au pied du podium alors que Priscilla termine deuxième, on apprend de façon officieuse que la sélection est faite, que c'est décidé, que c'est plié.. Ainsi ils ont décidé.Ils ont tranché.Ils se sont réunis entre eux et ont changé la règle du jeu. Comme ça, l'air de rien. Alors que c'était serré mais que je menais légitimement la danse, ils ont dit stop.. L'aventure s'arrete ici pour moi. J'étais encore sous le coup de ma déception de ce championnat et je me suis rendue au Grand Slam de Bakou, l’âme en peine et le corps vidé sans conviction ni énergie. Cependant mon entourage a su me remobiliser et je me suis rendue au Master au Mexique dans l'espoir de faire changer la donne.Ma médaille de bronze m'a donné espoir.L'espoir fut vain hélas..

Aujourd’hui au delà de la déception de ne pas avoir été choisie, au delà de l'injustice que je ressens ( et qui est pleinement subjective je le reconnais, même si les témoignages d'amis judokas et les écrits dans la presse me font légitimement penser que j'avais mes chances) c'est surtout du dégout que je ressens. Du dégout et de l'impuissance. Le sentiment que quoi qu'il se soit passé, je n'y serais pas allée. Alors oui on peut me dire," fallait etre sur le podium des Europe" c'est là que ça se joue..Ok, mais qui décide? et surtout quand l'a t'on décidé? Je me bats depuis quelques temps avec l'idée qu'on ne me veut pas.ou plutôt qu'une autre m'est préféré. Une autre qui je le reconnais ne démérite pas, une autre qui est correcte, droite et qui fait son boulot. Priscilla sait tout le respect que j'ai pour elle.

.=Est ce normal d'aller à l'entraînement tous les jours en pensant ça "de toute façon, t'as pas intérêt à te manquer car il ne veulent pas de toi... Tu n'as pas le droit à l'erreur... etc..." . Personne bien entendu, ne pourra officiellement confirmer mes propos mais je vous assure et vous le savez comme moi que c'est ce qui se dit, c'est ce qui se pense.

Alors on a beau me parler d’honnêteté, d’intégrité, de quasi unanimité dans la décision, je n'y crois pas. Les arguments que m'a d'ailleurs donné le DTN au télephone sont d'ailleurs inexacts, par respect pour la confidentialité de notre échange, je les garderai pour moi, mais je le répète, ils sont inexacts. Donc, en ayant pleinement conscience que mes propos n'y changeront rien, je voulais juste signifier publiquement, même si celà ne me ressemble pas, ma profonde déception, envers ces personnes qui se reconnaitront, et qui jouent avec les carrières d'athlètes qui ne demandent que l'équité .Juste l'équité. Puissent mes propos à ma modeste échelle, éclairer les consciences.

Voilà, j'ai vidé mon sac. Ceux qui me connaissent sauront que je parle ici sans amertume. J'accepte mon sort et je vivrai bien avec.

Mon club souhaite contester la décision fédérale. Ils se sentent lésés et veulent encore se battre, pour moi, pour eux. Je ne m'oppose pas à leur démarche et leur en laisse l'initiative.Ils verront bien. Mais moi j'ai assez donné.

Je pars la tête haute, fière de ce que j'ai accompli, fière d'avoir été fidèle aux principes qui ont toujours été les miens et aux principes que j'inculquerai à mes enfants.

Je souhaite enfin remercier tous ceux qui au quotidien, ou par moments, au plus prés ou à distance m'ont suivie et accompagnée dans cette magnifique aventure, que je ne regrette pas . Bien au contraire.

J'espère sincèrement la réussite de tous les athlètes de l'équipe de France de Judo, mes amis, à Rio. Pour Priscilia spécifiquement : "tu n'y es pour rien dans ce que j'écris et je ne t'en veux pas. Tu es forte et capable du meilleur, nous le savons tous .Bonne chance du fond du coeur.

Je retourne à ma vie de famille, une vie simple et merveilleuse."



Réagir à cet article

  • pere plexe - le 17/06/2016 à 08:04

    Belle lettre...les problèmes de sélections sont sans doute inévitables quelque soit le système.Cela dit ils seraient moindres si les règles étaient claires et annoncées. L'autre problème est le statut du judoka "pro": sans médaille olympique il n'existe pas médiatiquement et à peu de chance de vivre correctement de sa passion.Surtout il est entièrement dépendant de la Fédé,les clubs n'ayant aucun pouvoir.Le premier point pourrait être corriger rapidement.Je crains que le second soit sans issue.

  • AXLEMAN - le 09/06/2016 à 09:42

    On essaie de trouver une explication rationnelle à cette non sélection mais je sais pertinemment qu'il n'y en a pas...c'est juste un choix au feeling ou les sélectionneurs ont privilégié la jeunesse... J'aurai préféré que ce soit toi...toi la seule qui respectait ton public en souriant et en le saluant lors des championnats du monde de 2003!! Je m'en rappelle comme si c'était hier.