Yann Leroux : «les profs manquent de combativité»

Judo : les actualités du judo en France et dans le monde / Article / vendredi 13 mars 2015 / source : alljudo


Ancien fondateur du syndicat des professeurs de judo et défenseur de la pratique du MMA, Yann Leroux (JC Thouars) dresse, à travers son expérience personnelle, l'état des lieux des difficultés du judo français.

Bonjour Yann. Pour commencer pouvez-vous nous retracer votre parcours dans le judo ?
J'ai débuté le judo vers 22 ans à Saumur. J'étais Educateur Sportif et j'ai vraiment mordu au judo, j'ai passé mon Brevet d'Etat, puis quelques années plus tard mon BE2. Parallèlement j'ai également obtenu un BE Sport pour tous, un BE Badminton et un Brevet d'Initiateur Football. Je suis licencié au JC Thouars depuis le début des années 90 et j'y enseigne depuis 1994. J'ai également passé mes grades, et depuis une quinzaine d'années je suis 5e dan.

En 2003 vous avez créé un syndicat des professeurs de judo. Quels étaient vos motivations ?
A cette époque j'étais agent de développement pour le compte du Comité Départemental de judo. Je travaillais 7j/7 et mon couple n'y a pas survécu. J'ai eu un problème lors du divorce concernant la garde de mes enfants, puisque justement je n'étais jamais disponible les week-ends. Le JAF (le juge des affaires familiales) m'a mis en demeure de respecter le droit de visite et d'hébergement de mes enfants en me précisant que cette organisation professionnelle était illégale en France. J'ai donc demandé à mon employeur de pouvoir disposer de certains week-ends pour pouvoir les voir, et nous sommes entrés en conflit. Il faut savoir que la situation d'un bon nombre de professeurs et de cadres techniques est contraire au droit commun le plus élémentaire. Il y a alors eu un procès que j'ai gagné, et j'ai eu envie d'inciter les professeurs à se regrouper pour faire valoir leurs droits. Pendant neuf ans je me suis battu pour essayer de fédérer et de réveiller la profession, mais finalement en vain. Je suis frappé par le manque de combativité des professeurs de judo. Pourtant nous avons remporté tous les prud'hommes sur lesquels le syndicat a été consulté mais je n'ai pas réussi à faire comprendre aux profs quel était l'intérêt général d'un tel outil, je pense que l'image du syndicalisme en général y est pour quelque chose mais surtout la peur d'être mal perçu par les instances fédérales.

Comment est-ce que cela s'est-il fini ?
En 2012 j'ai laissé tomber. J'étais trop isolé pour pouvoir apporter quelque chose aux professeurs, et je n'étais là finalement que pour donner des conseils quand ils rencontraient des soucis avec leur employeur. Il y a eu très peu d'engagement sur la durée. Après mon départ, deux personnes ont tenté de continuer, puis rapidement le syndicat a disparu.

Quelle politique sportive avez-vous menée au sein du Judo Club de Thouars ?
Pendant longtemps j'ai tout misé sur la dynamique de groupe suscitée par les compétitions par équipes pour garder mes effectifs et entretenir la flamme. Il n'était pas rare que j'aligne deux, trois, voire quatre équipes sur certains championnats et nous avons obtenus de nombreux podiums régionaux ainsi que des qualifications nationales. Malheureusement lorsque les clubs ont été autorisés à faire des alliances et à aligner des athlètes ayant une seule année de licence au sein d'un club, il est devenu beaucoup plus difficile d'obtenir des résultats, et progressivement la dynamique s'est brisée. Cela s'est traduit par une baisse des licenciés.

Avez-vous trouvé des solutions pour remédier à ce problème ?
En 2010 nous avons organisé un gros gala avec Teddy Riner qui a attiré 2500 spectateurs, mais malgré cela, à la rentrée suivante, nous avions perdu 50 licenciés. A titre de comparaison j'avais fait venir Marie-Claire Restoux il y a une dizaine d'années, et à la reprise suivante nous avions 70 nouveaux licenciés. J'organise beaucoup d'échanges avec le Japon à travers des stages et des voyages, j'ai essayé le jujitsu, je travaille aussi sur le sport adapté, mais l'engouement n'est pas là, la dynamique est cassée.

Comment en êtes-vous venu à vous intéresser au MMA ?
Je suis un professionnel et pour vivre j'ai besoin que mon club tourne. A titre personnel j'ai toujours aimé le MMA. J'ai donc commencé à me former, puis j'ai démarré une activité sous l'étiquette « jujitsu combat ». Nous avons fait venir Bertrand Amoussou pour des stages et immédiatement il y a eu un très gros engouement à la fois des jeunes, mais aussi des anciens qui ont découvert une pratique bien moins traumatisante que le judo, car il y a moins de chutes. J'ai rapidement mis fin à l'hypocrisie en revendiquant l'appellation « MMA » qui correspondait à ce que nous faisions. Après quatre années de fonctionnement la section MMA compte 150 adhérents et je refuse du monde.

Vous revendiquez cette activité, mais sa pratique est interdite au sein des clubs de judo affiliés à la FFJDA ?
Nous avons été mis en demeure par la Fédération de cesser cette activité. Nous avons donc réorganisé la structure de notre association pour devenir un club multisports avec une section judo FFJDA, une section FSGT et une section CF MMA. Il existe d'autres clubs en France qui fonctionnent sur ce modèle et je peux même vous affirmer que dans certains d'entre eux des dirigeants ou des cadres fédéraux ont des responsabilités. Ce fonctionnement n'est pas contestable d'un point de vue juridique et cela a été admis par la Fédération. Cela n'empêche pas que l'on continue parfois à nous mettre des bâtons dans les roues notamment au niveau départemental et régional.

N'avez-vous pas peur que le MMA vampirise les pratiquants de sports de combat et qu'il mène le judo à sa perte ?
Les difficultés que rencontre le judo ne sont pas liées à la montée en puissance du MMA. En France l'organisation du judo est catastrophique. Des compétitions départementales ou régionales qui peuvent durer 10 heures, auxquelles il faut ajouter des trajets de plus en plus long, des demi-finales bondées, des départements dans lesquels on compte moins de 20 juniors sur un championnat, une convivialité complétement absente des compétitions officielles, une offre inexistante pour ceux qui veulent faire du judo loisir... Ça ne me fait pas plaisir, car je suis avant tout un passionné de judo, mais je constate avec regret que notre sport va mal. Au Japon ou je me rends régulièrement c'est encore pire. Il y a environ 200 000 licenciés pour 126 millions d'habitants, soit un taux de pénétration de 0,16% de pratiquants, les grands championnats attirent peu de spectateurs, les clubs sont rares et leurs dojos sont petits. A l'université du Kansai ou je me suis rendu récemment, il y a 50 judokas pour 35 000 étudiants. En revanche au sein de l'Université les entraînements de MMA sont bondés.

Quelles solutions préconiseriez-vous pour relancer le judo ?
Il y a beaucoup de choses à faire, mais un élément sur lequel je voudrais insister, car il a été mon cheval de bataille, c'est la nécessité de respecter le statut des professionnels du judo avec équité. Beaucoup de profs vivent dans la misère en travaillant 7j/7 et en étant payé partiellement en frais de déplacement, fonctionnement totalement illégal et antidémocratique. En respectant ce statut, en pérennisant le métier, en assurant des perspectives d'avenir aux professeurs, en leur laissant la liberté d'innovations singulières dans leur développement, en respectant leur travail, en arrêtant l'empilage de chose qui nous éloigne de l'essentiel et enfin que la FFJDA utilise « la carotte plutôt que le bâton »; c'est ainsi que l'on assurera le développement du judo français, car c'est sur les épaules des professeurs, les chevilles ouvrières du judo, qu'il repose.



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  • HGGC - le 10/04/2015 à 03:32

    Surtout le problème, c'est que les profs attendent tout de la fédération ; mais le rôle d'une fédération n'est pas de s'occuper des entraineurs, enseignants, des clubs

  • cqgb - le 20/03/2015 à 08:20

    "En France l'organisation du judo est catastrophique. Des compétitions départementales ou régionales qui peuvent durer 10 heures, auxquelles il faut ajouter des trajets de plus en plus long, des demi-finales bondées, des départements dans lesquels on compte moins de 20 juniors sur un championnat, une convivialité complétement absente des compétitions officielles, une offre inexistante pour ceux qui veulent faire du judo loisir..." Analyse que je partage à 100%, professeur de judo depuis 30 ans dans une petite ville de province, je fais exactement les mêmes constats, arbitrage inadapté à un niveau amateur(et arbitres pour la plupart incompétents), un relationnel officiels - public et judokas scandaleux, des compétitions qui s'éternisent et au final la Présidente du département qui s'indigne "mais ou sont nos jeunes compétiteurs" !hé bien chère Madame,PLUS AU JUDO !

  • veromt - le 14/03/2015 à 04:53

    Dans le même temps on met en balance avec des profs certifiés, diplômés, gradés des cfea\cfeb, cap ...qui vont être payes ou indemnisés au moindre coût, ce qui arrange certains clubs. On se moque du niveau, des valeurs...ce qui compte aujourd'hui c'est à la limite d'être corvéable à merci et limite bénévolement ....et celui qui n'est pas content est invite à voir ailleurs.,..au détriment de tout ce qui a fait le judo et ses valeurs, c'est le cas dans de nombreuses régions où l'on va remplacer un haut gradé diplômé npar un ceinture marron ou premier dan, que l'on va dédommager ...un peu, pas trop . Que les profs grondent aussi contre ce système fait pour engranger à moindre coût des licences pour les super dirigeants qui eux, sont bien payés .