Salima Souakri :'le sport comme outil de développement social'

Judo : les actualités du judo en France et dans le monde / Interview / mardi 17 avril 2012 / source : IJF


Epanouie et détendue, un grand sourire illuminant son visage, Salima SOUAKRI (ALG) est une femme heureuse et il y a de quoi. Nommée depuis le 9 octobre 2011 ambassadrice de l'UNICEF, la grande championne de judo a répondu aux questions du journaliste de l'IJF.

Depuis combien de temps n'étiez-vous venue assister à un championnat d'Afrique de judo ?
Cela fait quelques années que je n'avais pas eu ce plaisir, mais vous savez, je suis toujours autant, si ce n'est plus, investie dans le judo. C'est simplement la manière de me mettre à disposition de mon sport favori qui a changé.

Vous avez eu une carrière exceptionnelle ?
En toute modestie, je peux dire que je suis fière de mon parcours. Cela n'a pas été toujours facile, mais j'ai su surmonter les obstacles et toujours aller de l'avant. La médaille d'or que j'ai remportée au Tournoi de Paris où j'étais la première africaine à monter sur la première marche, reste un moment important de mon parcours de compétitrice. Pour revenir à votre première question, c'est un peu étranger pour moi de revenir ici, à l'invitation de ma fédération. J'ai remporté douze couronnes africaines au cours de ma carrière et aujourd'hui je suis spectatrice... c'est amusant.

Vous n'êtes pourtant pas que spectatrice ?
Vous avez raison, je suis aussi ambassadrice du judo dans mon pays et j'essaye autant que possible d'apporter ma contribution au développement du judo en Algérie, mais également en Afrique et dans le monde entier. Vous savez, nous sommes à quelques semaines des Jeux Olympiques, c'est un virage important pour tous les athlètes et nos judoka ont besoin de motivation et d'encouragement. C'est ce que je suis venue faire ici. Je sais ce que c'est de se préparer pour les Jeux. Je sais ce que cela veut dire d'engagement et d'abnégation. Cette expérience je veux la partager. Il est important pour moi de redonner aujourd'hui tout ce que j'ai reçu. La jeune génération de champions en a besoin.

Les Jeux Olympiques et vous, c'est une longue histoire ?
C'est une belle histoire, mais aussi une histoire qui me laisse un petit goût amer car je n'ai jamais réussi à décrocher la médaille tant espérée. J'ai participé aux premiers jeux ouverts aux femmes, en 1992, à Barcelone, cela j'en suis encore très honorée. Mais j'ai été classée 3 fois cinquième, et j'ai terminé également deux fois au pied du podium lors des championnats du monde. Je déteste ce chiffre. Ne me parlez pas de cinquième place (ajoute Salima Souakri avec un grand sourire).

C'est promis. Malgré tout, vous avec un palmarès exceptionnel alors que vos conditions d'entraînement étaient loin d'être optimales ?
Vous ne pouvez pas imaginer. Les conditions pour s'entraîner étaient très compliquées en Algérie. Pendant la 'décennie noire', nous devions nous cacher et nous retrouver le soir dans des endroits secrets pour pratiquer. C'était dangereux et nous nous réunissions souvent après le couvre-feu. Pour nous, les femmes, c'était encore plus risqué, mais nous nous sommes imposées. Ce n'est pas la peur qui pouvait nous arrêter.

Vous avez vous-même été touchée directement ?
Ma famille oui. Nous avons été touchés dans notre chair. Deux de mes frères qui étaient policiers ont été assassinés. Il nous a pourtant fallu continuer à vivre. Jamais je n'ai quitté mon pays ou voulu le faire. J'y vis toujours aujourd'hui alors que les choses vont beaucoup mieux heureusement.

Qu'avez-vous fait depuis votre retraite des tatami ?
J'ai arrêté en 2008 et je suis devenue entraîneur de l'équipe nationale féminine qui a obtenu son meilleur résultat d'ensemble en 2009 à l'Ile Maurice, avec 5 titres sur 7 possibles. Aujourd'hui, je m'occupe encore d'un club, le GSP, et nous avons une équipe féminine senior très performante. Mais je vois mon action ailleurs désormais.

Pouvez-vous nous en dire plus ?
Très tôt, j'ai ressenti le besoin de m'investir dans l'humanitaire. C'était une évidence pour moi. Au lendemain de ma retraite sportive, j'ai rejoint le monde associatif. Je suis aujourd'hui présidente d'une association pour handicapés dans un quartier déshérité. Je fais également de la sensibilisation aux dangers de l'usage des drogues et stupéfiants et cela dans des régions lointaines de l'Algérie. Je pense que le sport est le meilleur outil qui soit pour combattre ces fléaux.

Quel est votre rôle exactement ?
Il est avant tout celui d'une ambassadrice, mais une ambassadrice active. Les jeunes ont besoin d'idoles car ainsi le message passe bien mieux. Je disais que j'avais participé en 1992 aux premiers jeux olympiques au cours desquels les femmes étaient représentées en judo. A cette époque qui était vraiment sombre pour notre pays, nous étions trois femmes seulement à représenter l'Algérie aux Jeux dont Hassiba Boulmerka qui devint Championne Olympique en Athlétisme. Pour nous le sport a été un passeport extraordinaire qui nous a permis de nous affirmer et de révolutionner notre condition de femmes. Je suis fière et heureuse d'avoir été une actrice de cette aventure humaine.

Vous être depuis peu devenue ambassadrice de l'UNICEF. Qu'est-ce que cela représente pour vous ?
C'est avant tout un grand honneur d'avoir été choisi, en octobre dernier, par cette belle institution et je fais tout pour être à la hauteur des attentes que l'on a mis en moi. Vous savez, pour moi, c'est un nouveau combat à mener et à gagner pour la défense de l'enfance. En assurant la promotion du sport, je veux dire et transmettre à la jeunesse que l'on peut réussir malgré les difficultés.

C'est votre message ?
Oui, sans aucun doute. Je crois qu'à force de volonté, on peut vraiment surmonter tous les obstacles et quoi de mieux que le sport et le judo pour cela. Je veux promouvoir le sport comme outil de développement social. J'y crois.

Quel regard portez-vous sur le judo moderne?
Je crois que les modifications qui été apportées au judo depuis quelques années vont dans le bon sens. Il glissait vers autre chose que le sport qui m'a fait et me fait encore vibrer aujourd'hui. J'ai retrouvé un réel plaisir à regarder des compétitions. Le niveau technique s'améliore et même si les qualifications pour les Jeux Olympiques sont devenues plus compliquées, c'est bien ainsi, car aux Jeux, on doit retrouver les meilleurs des meilleurs. Je constate aussi avec joie que les moyens commencent à arriver. Quand j'étais compétitrice, il n'y avait pas de primes pour les athlètes et l'intérêt médiatique était limité. Vous ne pouvez pas imaginer le plaisir que j'ai à pouvoir suivre les plus grands événements internationaux à la TV.

Merci beaucoup pour votre disponibilité. Quelle conclusions voudriez-vous apporter à notre entretien ?
Merci à vous. Le judo, c'est que du bonheur. Oui, la vie est parfois difficile et compliquée, je sais de quoi je parle, mais grâce au sport et grâce à des valeurs simples ont peut vraiment franchir les obstacles.

ARTICLE DE NICOLAS MESSNER (IJF) 

 


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