Alexandre Borderieux : 'un quartier où personne ne voulait aller'

Judo : les actualités du judo en France et dans le monde / Interview / mercredi 25 mai 2011 / source : alljudo.net


Rencontré à l'occasion du Tournoi European Cup juniors de Lyon-Villeurbanne, Alexandre Borderieux évoque pour alljudo.net la montée en puissance de son club, l'AJA Paris 20e, ainsi que son rôle d'entraîneur. Interview.

Bonjour Alexandre, le club de l'AJA Paris 20e que tu diriges a obtenu d'excellents résultats cette saison, peux-tu nous les rappeler ?
Effectivement nous avons vécu une saison 2010-2011 assez exceptionnelle, notamment en cadets, où nous remportons trois titres nationaux, ce qui nous place en tête du classement des clubs sur cette catégorie d'âge. Les trois titres ont été remportés par Léa MatteiMégane Mattei et Chris Gengoul. A cela il faut ajouter la troisième place de Hadrien Livolsi, ainsi que les trois médailles (1 or, 2 bronze) obtenues aux UNSS cadets. Ces bons résultats en individuel ont été confirmés avec un titre de vice-champion de France par équipes, obtenu par un groupe dont l'ossature était composée des judokas de l'AJA Paris 20e et complétée par un judoka de Force XV et un judoka d'Inter-Activités.
En juniors, nous avons eu Rachelle Plas qui a été vice-championne du monde en octobre à Agadir et Laura Deraï qui a remporté, en 2011, son deuxième titre de championne de France consécutif et qui postule pour les championnats internationaux qui auront lieu cet automne. 
En seniors les résultats sont également satisfaisants, puisqu'après les deux médailles remportées par Hélène Buck (2e en +78kg) et Caroline Poidras (1e en 52kg) lors des Championnats de France 2e division 2010, nous avons trois athlètes (Caroline PoidrasMorgane Arthuis et Laura Deraï) qui se sont qualifiés pour les championnats de France 1e division tandis que huit autres sont qualifiés pour les championnats de France 2e division qui auront lieu à la rentrée. Enfin notre équipe féminine disputera les prochains championnats de France 1e division à Amiens les 12 et 13 juin.

Quel est ton rôle au sein du club ?
Je suis le professeur principal et je suis assisté dans ma tâche par Alvaro Paseyro (5e aux JO de Sidney) qui intervient sur la technique, ainsi que par deux accompagnateurs qui m'assistent sur les compétitions. Avec mon ami Alvaro, nous avons créé le club en 2003, avec pour ambition de transmettre à notre tour à des jeunes en difficulté tout ce que le judo nous avait apporté. Nous avons volontairement choisi le quartier Saint-Blaise, dans le 20e arrondissement, qui avait pourtant mauvaise réputation et où personne ne voulait aller. Avant d'être un entraîneur, mon rôle consiste à tendre la main et à éduquer des jeunes qui manquent de repères. 

Quand tu dis personne ne voulait y aller, cela signifie quoi exactement ?
Je dis cela pour plusieurs raisons. La première est que nous sommes confrontés à un public de jeunes qui pour certains sont en grande difficulté, aussi bien sur le plan scolaire que familiale, et qui n'étaient pas spécialement demandeurs de judo. La deuxième raison c'est qu'il n'y avait pas d'infrastructure dédiée au judo sur le quartier. Depuis 2003 je donne les cours dans un gymnase, et quatre fois par semaine je suis obligé de monter et démonter les tapis. Enfin nous n'avons pas eu de subvention particulière pour soutenir notre projet, qui s'inscrit pourtant dans une volonté à la fois sportive et sociale.

Votre action est-elle désormais reconnue ?
On peut dire que le plus dur est derrière nous. Nous avons déjà gagné la confiance des jeunes, et nous avons réussi à leur inculqué un certain nombre de valeurs, ce qui n'a pas été facile car, en dehors du judo, ils n'ont jamais connu l'exigence. Il m'est arrivé parfois, lors des premières années, de consacrer un tiers de ma séance au judo, et le reste à l'enseignement du civisme, à la mise en place des règles qui régissent un dojo. Je suis très fier d'avoir réussi à créer un consensus et une cohésion sociale autour du club. Les jeunes de différentes communautés se côtoient et apprennent à s'apprécier grâce au club, alors que dans la rue ils auraient probablement été en conflits car ils n'appartiennent pas aux mêmes groupes.
Nous avons également gagné la confiance des organismes sociaux. Je suis notamment en relation avec des foyers qui me sollicitent pour me confier des jeunes. Au niveau politique, les choses évoluent aussi puisque depuis deux ans, en plus du gymnase, un dojo est à notre disposition sur un autre quartier du 20e arrondissement. Enfin, pour la première fois, nous auront à partir de la rentrée un contrat d'objectif qui va nous permettre de bénéficier d'une subvention plus conséquente.

Comment comptes-tu utiliser ces nouveaux moyens, et quels sont les objectifs du club pour les années à venir?
L'objectif est de continuer à faire grandir le club en restant dans une logique de formation et d'éducation. Nous somme actuellement une centaine de licenciés, ce qui est très peu au regard de nos résultats, et j'aimerais atteindre les 250 licenciés dans les cinq ans à venir. L'argent servira en premier lieu à organiser des stages et des déplacements, pour permettre à nos jeunes de continuer à progresser. A moyen terme, je voudrais pouvoir conserver les jeunes que je forme afin d'avoir une équipe garçons capable de faire l'ascenseur entre la première et la deuxième division. Au niveau des filles, si le budget le permet, on essayera de se renforcer.

Comment définirais-tu ta méthode d'enseignement ?
Ma priorité va au travail technique et à la recherche du geste juste. Très tôt, j'essaye de détecter les aptitudes du jeune judoka pour telle ou telle forme de corps, afin de le diriger vers un spécial. Ensuite, l'entraînement est basé sur l'amélioration de ce spécial, que l'on essaye de rendre efficace dans toutes les situations, quel que soit le déplacement, le type d'adversaire, le kumi-kata. Sur une année je ne démontre pas beaucoup de techniques, je me concentre sur le spécial et sur les mouvements qui me paraissent essentiels comme uchi-mata et morote-seoi-nage. J'impose de manière systématique un kumi-kata revers-manche et Je fais beaucoup pratiquer le nage-komi. Au club, la part de randoris dans l'entraînement est relativement faible.

Tu veux dire que tu as obtenu des titres nationaux en faisant beaucoup de technique et peu de combat ?
Non, cela ne concerne que le travail effectué au club, sur le tapis. Pour l'opposition nous allons à l'INJ où j'accompagne mes judokas afin de les aiguiller dans leur travail. Je souhaite qu'ils se servent de la grande variété de partenaires disponibles pour tester des solutions techniques face à des profils de combattants différents. Ensuite, dans le cadre du club nous avons deux séances de P.P.G. (Préparation Physique Générale) par semaine. Je m'inspire du travail de Gilles Cometti, un préparateur bien connu et aujourd'hui décédé, qui prônait le développement des qualités naturelles de l'athlète. L'idée est la même que pour la technique, on part des aptitudes de base. Par exemple, avec un jeune qui a un profil « endurant » je ne vais pas travailler l'explosivité mais au contraire je vais chercher à améliorer son endurance. Enfin je me sers de la vidéo, qui est pour moi un outil incontournable pour progresser sur la gestion de combat. Je m'en sers à partir des cadets, pour leur faire comprendre leurs erreurs, pour leur faire voir à quel moment ils ont perdu leur lucidité, comment le stress ou l'enjeu leur ont fait adopter des comportements qui ne sont pas les leurs à l'entraînement.

Pendant deux ans tu as collaboré avec Nice Judo, un club qui a réussi des prouesses dans le domaine de la formation. T'es-tu inspiré du travail de Michel Carrière ?
J'ai travaillé pour Nice Judo entre 2008 et 2010, avec pour mission de suivre les athlètes basés sur Paris, lors de leurs entraînements et sur certains de leurs déplacements. Cela a été une expérience intéressante, notamment du point de vue humain, avec des relations fortes qui se sont créées avec certains athlètes comme Florent UraniGuillaume Chaine ou encore Pierre Duprat. En revanche, étant basé à Paris, je n'ai pas baigné dans le club, je n'ai pas participé à la formation des jeunes, et je n'ai donc pas eu l'occasion de m'inspirer de l'enseignement de Michel Carrière.

Y-a-t-il d'autres entraîneurs qui t'ont inspiré ?
Je m'inspire de la méthode japonaise, ainsi que des différentes méthodes que j'ai pu observer en tant qu'athlète lors des stages à l'étranger, en Corée et en Russie notamment. J'ai beaucoup échangé, et je continue de le faire, avec des entraîneurs comme Ezio GambaMarco Spittka ou encore M. Van der Geest le père de Elco et Dennis. A ce titre, les années durant lesquelles j'ai combattu pour l'équipe de Yougoslavie ont été très enrichissantes, car les langues se déliaient plus facilement que lorsque j'arrivais avec l'étiquette «équipe de France». Je puise également dans mon vécu de compétiteur, puisque j'ai eu la chance de m'entraîner et de combattre aux côtés de la grande génération française des TraineauDouilletBouras...

Comment expliques-tu que certains clubs, comme l'AJA Paris 20e, obtiennent de meilleurs résultats que des pôles espoirs qui disposent pourtant d'effectifs et de moyens supérieurs ?
Je pense que le point faible des pôles réside justement dans leurs effectifs. Si je me réfère à ma propre expérience, en consacrant 100% de mon temps et de mon énergie au judo, je parviens à mettre en place, pour un petit nombre de judokas, un suivi personnalisé qui couvre à la fois les aspects techniques, physiques, tactiques et psychologiques. Je ne pense pas que cela soit possible avec deux entraîneurs pour un groupe de quarante judokas. Donc ce qui se passe malheureusement trop souvent, c'est que les athlètes les plus forts, ou les plus demandeurs, bénéficient d'un suivi de qualité, tandis que les autres sont délaissés. Ce constat ne vise pas directement les entraîneurs de pôle, et j'ai d'ailleurs certains judokas du club qui sont en structure, mais je vais les voir régulièrement à l'entraînement et je les encadre le plus possible. J'ai horreur de cette formule souvent utilisée «l'athlète doit être autonome», c'est souvent l'argument facile pour justifier le manque d'encadrement.

En étant très présent auprès de tes judokas, ne crains-tu pas de les étouffer ?
J'essaye d'être présent à chaque fois qu'ils ont besoin de moi, mais ensuite c'est eux, et eux seuls, qui sont sur le tapis, cela leur appartient complètement. Pour résumer je suis un outil de travail à leur service.


Le palmarès de Alexandre Borderieux

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  • allJudoAdmin - le 03/06/2011 à 11:06

    Ma question était peut-être mal posée. Je ne cherchais pas à attiser une éventuelle rivalité pole / club, mais à comprendre comment il réussissait avec peu de moyens, alors que d'autres, et notamment les pôles, disposent de moyens plus importants (effectifs, budjet, encadrement) sans parvenir à obtenir autant de résultats. Concernant la relation avec le pole IDF, il me semble que la réponse est claire : " Ce constat ne vise pas directement les entraîneurs de pôle, et j'ai d'ailleurs certains judokas du club qui sont en structure.."

  • judokattentif - le 03/06/2011 à 10:45

    Bonjour, Témoignage sympa...jusqu'au moment où la question sur les pôles espoirs vient enfoncer le clou sur les idées reçues. Pourquoi antagonisme PE et Club ? Là en plus, l'exemple est vraiment mal choisi car vous avez juste oublié de préciser que les 3 champions de France Cadets de l'AJA sont au PE IDF. Et quand on connait la qualité du travail d'éducateur et d'entraineur fait par Nicolas MOSSION sur ce pôle, il est quand même dommage de ne pas préciser tout ça. Là où Alex est très bon c'est dans ça faculté à être présent auprès de ces athlètes en pôle ou hors pôle. Et lui ne cherche pas à écraser ou minimiser le travail de qualité fait au quotidien par les entraineurs du pôle. contrairement à d'autres profs...jalousie ? manque de crédibilité ? ou pire vie par procuration la compétition de leurs jeunes... Dommage. Mais au total, un bon exemple de ce que doit être une école de judo : de la base au Haut-niveau.

  • GOKARA - le 28/05/2011 à 10:23

    Autant pour moi mais on est d'accord sur l'essentiel. Je retire donc mon commentaire tout en saluant bien bas AB pour son oeuvre et engagement

  • allJudoAdmin - le 28/05/2011 à 09:40

    Bonjour Gokara, je te confirme que l'interview s'est déroulée à l'Astroballe le dimanche 15 mai, à la buvette entre 10h et 12h où plusieurs judokas et professeurs nous ont salués. Pour info, Alexandre était présent tout le week-end, donc si tu ne l'as pas vu c'est sans doute parce que tu as besoin de lunettes ! (lol)

  • toupoulou - le 27/05/2011 à 10:58

    Bravo pour cette excellente interview avec de bonnes questions et de très bonnes réponses: on y voit, notamment, les raisons d'une passion sans laquelle on ne fait pas grand chose dans le difficile métier d'entraîneur, la compréhension des milieux "jeunes" selon un vocable parfois décrié et suscitant l'amalgame; il est certain qu'il faut suivre cette voie de l'intégration et de l'empathie avec cette jeunesse parfois en difficulté dans les quartiers. Les résultats sont là et ils sont prometteurs, pour peu qu'on soutienne, encore davantage, cet entraîneur modeste (il ne met pas assez en avant son brillant passé de compétiteur). Pour le croiser de temps en temps à l'aquaboulevard où il « coache » les jeunes filles dans la salle de musculation, j’observe qu'il est totalement dévoué à la cause et que le courant passe bien avec ses élèves: c'est important et c'est un gage de réussite: à suivre, donc!

  • AXLEMAN - le 27/05/2011 à 08:26

    Bel esprit en effet et les résultats parlent pour lui...