Annabelle Euranie :'je suis soulagée'

Judo : les actualités du judo en France et dans le monde / Interview / vendredi 12 janvier 2007 / source : alljudo.net


En panne de motivation depuis plus d'un an, Annabelle Euranie nous explique dans un long entretien, pourquoi, à 24 ans, elle a choisi de mettre un terme à sa carrière.

Quand et comment as-tu annoncé ta décision ?
Je l’ai d’abord annoncé au club de Levallois, à Christian Chaumont et à mes partenaires le mercredi 3 janvier, puis le lundi suivant je l’ai annoncé à la fédération. Le lendemain j’ai été contactée par différents médias, et l’information est sortie dans la presse le mercredi.

Depuis combien de temps l’avais-tu prise ?
Cela fait un an et demi que je me pause des questions. Après les championnats du Monde 2005 au Caire j’avais des doutes sur ma motivation et j’ai décidé de changer de catégorie. Je pensais qu’en évitant d’avoir à faire des régimes je retrouverais l’envie, mais les doutes sont revenus rapidement. Je n’ai jamais retrouvé l’étincelle du début de ma carrière. En septembre 2006, j’ai demandé à ne plus être interne à l’INSEP et à m’entraîner un peu moins. En fait je sentais que je voulais arrêter, mais avec seulement le bac en poche c’était difficile, et j’ai préparé le concours des douanes. J’ai passé les écrits en juin et les oraux en novembre, et à ce moment là, ce qui comptait le plus pour moi c’était de réussir ce concours. Lorsque j’ai su que je l’avais réussi, j’ai annoncé ma décision d’arrêter à ma famille, c’était début décembre. Puis je suis parti trois semaines en stage au Japon, ensuite il y a eu les fêtes, et au retour des fêtes j’ai annoncé ma décision au club.

Il y a une information qui a circulé annonçant que ton frère David voulait également prendre sa retraite internationale ?
Cette information est fausse, il n’en a jamais été question. Un journaliste de l’Esprit du Judo s’est trompé, il a peut-être confondu avec moi, et il n’a pas réussi à joindre mon frère pour vérifier. Ensuite l’information est sortie et elle a été reprise par plusieurs médias dont l’Equipe (ndlr :alljudo.net a également diffusé cette information erronée et s’en excuse). C’est ennuyeux pour mon frère car il souhaite vraiment faire une grande carrière. S’il continue à faire de la compétition c’est pour percer et il va aux championnats de France pour gagner. Malheureusement, parce qu’il a un travail et une famille, on lui colle l’étiquette de quelqu’un qui ne veux pas faire du haut-niveau et cette fausse annonce renforce cette image.

Comment te sens-tu après avoir annoncé ta décision ?
Je me sens soulagée, vraiment libérée d’un poids, d’un mal être. Je n’en pouvais plus d’être en contradiction avec moi-même et j’avais peur de finir par détester ce sport que j’ai tant aimé.

Comment l’encadrement de l’équipe de France a-t-il accueilli la nouvelle ?
Ils ont été surpris et ils ont essayé de savoir si je n’agissais pas sur un coup de tête. Mais ils ont accepté la nouvelle et ne l’ont pas mal pris. Cathy Fleury m’a dit que si à moment je ressentais l’envie de faire de nouveau du judo, il ne fallait pas hésiter à l’appeler, il ne fallait pas avoir honte de revenir, même si c’est juste pour mettre le kimono. Le club de Levallois a eu la même attitude.

Les changements d’entraîneurs à la tête de l’équipe de France t’ont-ils perturbé ?
Non, car lorsqu’il y a eu le changement d’entraîneurs j’étais en train de changer de catégorie de poids, et je pensais retrouver la motivation. Je me suis dit attendons de voir, et rapidement cela a été positif du point de vue du judo. Mais mon mal-être était toujours là, c’est quelque chose de très intérieur.

Est-ce que le fait de ne plus être titulaire en équipe de France a influencé ton choix ?
Non car lorsque j’ai annoncé mon passage en moins de 57 kg j’ai dit que je me laissais un an pour m’installer dans la catégorie. Déjà cette attitude ne me ressemblait pas, car auparavant je voulais tout le plus vite possible. Mais là je souhaitais déjà coupé un peu, aller moins souvent sur les tournois internationaux, être moins sollicitée. En fait lorsque je me suis blessée à l’épaule en février 2006, cela m’a fait du bien, j’ai pu souffler. En temps normal ma position de numéro deux ou numéro trois de la catégorie m’aurait boosté, m’aurait poussé à être la meilleure, mais là ce n’était déjà plus le cas.

Tu as dit que « tu avais perdu la flamme » qu’est ce qui selon toi l’a éteinte ?
Je n’ai pas vraiment de raisons. Je savais que l’envie de faire de la compétition allait disparaître un jour où l’autre, sans savoir quand. Chez la plupart des athlètes cela se produit vers 30 ans, chez moi c’est arrivé tôt, mais je n’ai pas été surprise. A partir de là je ne vais pas m’obliger à continuer, parce que j’ai 24 ans ou parce qu’il y a prochainement des échéances mondiales et olympiques. De toute façon cela ne servirait à rien.

Qu’est-ce que tu aimais dans le judo et que tu n’aimes plus ?
Ce que j’aimais c’était la compétition, le défi, être la meilleure. Mais voilà cette envie d’être la meilleure est passée, même s’il y a encore beaucoup de choses auxquelles je pourrais rêver comme un titre mondial ou une médaille olympique.

Peux-tu nous rappeler les grandes étapes de ta carrière ?
J’ai commencé le judo à 13 ans à Tremblay, et je suis devenue championne d’inter-régions minimes dès ma première année de judo. En effet durant l’été ma mère m’avait pris une licence de la saison précédente pour que je puisse avoir deux ans de licence et j’ai pu ainsi participer aux compétitions fédérales. En première année cadette je remporte la coupe de France en moins de 48 kg, puis en juniors je gagne les championnats de France UNSS, FFJDA et le tournoi de France 2001. Lors de ma première année senior en 2002, je fais 3e aux championnats de France 1e division, 2e au tournoi de Paris, 1e en Allemagne et je suis sélectionnée pour les Championnats d’Europe ou je perds au premier tour. Ensuite il y a les titres de championne d’Europe et de vice-championne du monde en 2003, cela a été très vite.

De l’extérieur, quand on voit une athlète de niveau international, en pleine possession de ses moyens physiques, qui arrête sa carrière à 24 ans on a forcément un sentiment d’inachevé, qu’en penses-tu ?
Moi je n’ai pas ce sentiment, car j’ai été comblée. En peu de temps j’ai vécu énormément de choses : j’ai disputé les plus grands tournois, les championnats du monde, les Jeux, j’ai vécu les préparations, des stages incroyables, des moments très durs et très intenses. J’ai été championne d’Europe et vice-championne du monde et ce bilan me satisfait pleinement.

Est-ce que, en tant que sportive de haut niveau qui doit faire attention à son hygiène de vie, à son poids, tu t’es sentie privée par rapport aux filles de ton âge ?
Pendant quatre ans les seules choses qui comptaient pour moi étaient le judo et ma famille. J’étais amoureuse du judo, même quand c’était dur cela me plaisait. Je ne me plaignais jamais car j’aimais ça et les sorties ne m’intéressaient pas. Lorsque des copines me sollicitaient je préférais me reposer. Maintenant j’ai d’autres envies, je suis devenue curieuse, alors qu’avant je ne l’étais pas du tout. Je veux découvrir ce que je n’ai pas connu, les sorties, les amis, les voyages, le travail, la vie de tout le monde en fait.

Est-ce qu’il y a des personnalités du monde du judo ou du sport en général qui t’ont appelé pour te dire de continuer, de ne pas lâcher ?
En dehors des gens du judo que je côtoie en temps normal, j’ai eu des appels de quelques anciens, dont Amina Abdellattif. Mais personne de ne m’a dit de continuer coûte que coûte, on m’a plutôt dit que c’était un choix courageux.

Dans ta tête il s’agit d’un arrêt définitif ou tu te laisses une porte pour revenir, sans savoir exactement quand ?
Dans mon esprit c’est définitif, je crois vraiment que je ne reviendrais pas. Maintenant je ne suis pas devin et je ne peux pas jurer à 100 %, mais connaissant mon tempérament cela m’étonnerait beaucoup.

Maintenant quels sont tes projets personnels et professionnels ?
Suite à ma réussite au concours des douanes je vais partir en stage de formation à La Rochelle durant l’année 2007. Trois mois en formation théorique à partir de février, puis un mois en juillet pour un stage pratique. Entre temps il y a un retour sur Paris ou je commencerai à intégrer mes nouvelles fonctions, puis à l’issue de tout cela je démarrerai mon activité à Roissy. Ensuite je souhaite profiter des nombreuses formations qui sont offertes dans le cadre des douanes pour évoluer.

Quelle va être ta vie dans les jours prochains ?
Pour l’instant je donne pas mal d’interviews, mais je compte passer du temps avec ma belle-sœur pour profiter de mes neveux. Sinon je vais sortir, me reposer, aller aux championnats de France à Dijon pour encourager mes partenaires de Levallois, et cette après-midi je fais les soldes avec la ferme intention de tout dévaliser.

Est-ce que tu te vois revenir dans le judo pour faire autre chose que de la compétition. De l’arbitrage ou de l’enseignement par exemple ?
L’arbitrage vraiment non. L’enseignement non plus, car pour moi le judo c’est d’abord une sensation et j’ai du mal à la partagée. Parfois on m’a demandé de démontrer mon uchimata, mais je ne sais pas l’expliquer. Puis je ne me vois pas être sur le bord d’un tapis, passive, à regarder les autres combattre.

Pour finir qu’est ce que tu retiendras de tes années de judokate ?
Il y a une petite phrase d’Anne Morlot que je trouve très bien : « Tant qu’on a la foi on continue. Quand on ne l’a plus on arrête. »



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